À l’heure où une conscience environnementale semble enfin prendre sa place dans notre système économique, sommes-nous arrivés au point de bascule qui pourra nous conduire à une économie durable ?
En mai dernier, Christophe Itier, Haut-Commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, rassemblait une coalition d’entreprises engagées, « 10% pour tout changer ». Son but est d’accélérer la mise en œuvre de programmes de lutte contre le changement climatique et de progrès social au sein de leurs organisations, et de passer du discours sur l’engagement des entreprises à des actions concrètes.
Comment certaines initiatives tracent le chemin
Les Universités de l’économie de demain (UEED) se sont tenues les 3 et 4 septembre dernier. Ce nouvel événement dédié à l’innovation sociale et solidaire, organisé par le collectif #NousSommesDemain a pour objectif de renforcer le dialogue entre les acteurs économiques pour aller vers une économie plus vertueuse. Le Président de the Mouves, Jonathan Jérémiasz, voit en effet dans ce mouvement l’opportunité de regrouper les acteurs économiques, désireux d’accélérer « la transition économique et environnementale ». La question de la crédibilité se pose, la volonté d’embarquer le plus de monde dans cette voie ne devant pas conduire à des pratiques de « greenwashing » ou de « social washing ». Une issue possible pour le président du groupe SOS, Jean-Marc Borello. En effet la loi PACTE et sa prise en compte des impacts sociétaux et environnementaux, donne un nouveau cadre à la durabilité des organisations.
Ces UEED ont permis de mettre à la page des réflexions sur ce que doit être l’économie d’aujourd’hui « et non de demain ! », comme l’affirme Dominique Carlac’h, vice -présidente du MEDEF.
Les fondamentaux pour cette économie durable et promus par le collectif #NousSommesDemain sont :
- Le partage du pouvoir : imposer un principe de gouvernance éthique
- Le partage des richesses : stratégie financière éthique, responsable et solidaire
- L’impact environnemental
- L’impact social : adopter et revendiquer son rôle sociétal, et le traduire dans son cœur de métier
Il s’agit ici d’enjeux déjà clairement définis dans la norme internationale ISO26000 que connaissent les organisations engagées. Néanmoins, on en ressort deux choses : d’abord, la volonté d’embarquer « tout le monde », ensuite, que l’économie durable devienne la voix incontournable pour gérer une organisation.
Bien heureusement, certaines initiatives nous inspirent déjà en ce sens, et c’est une très bonne nouvelle ! Il y a le collectif pour un réveil écologique , rejoint par 30 000 étudiants de l’enseignement supérieur. L’engagement du collectif est de marquer de façon symbolique le souhait d’une nouvelle génération à ne pas travailler pour une entreprise qui ne prend pas en compte ses impacts environnementaux négatifs. D’ailleurs, ils ont rencontré cette année une centaine de dirigeants pour échanger et les challenger sur les pratiques de leurs entreprises.
De nombreuses organisations se sont déjà emparées de ce défi ! La société coopérative d’intérêt collectif à capital variable (SCOP) Enercoop, promeut le développement des énergies renouvelables en France avec une électricité verte… Phenix est la start-up tricolore, leader de la lutte contre le gaspillage en Europe, avec plus de 50 millions de repas « sauvés » depuis son lancement, grâce à son réseau de professionnels et de citoyens engagés. Son principe est simple : permettre aux industriels de réduire leur gaspillage en distribuant leur surplus ou invendus. Lancée en 2014, cette pépite innovante de l’économie durable a tout de suite attiré l’attention de Christophe Itier, dans son projet de coalition. Dans un autre secteur, il y aussi LITA, qui propose de « donner du sens à son argent en ligne » à travers l’investissement dans des entreprises durables. Sans oublier Ashoka, l’ONG internationale vecteur de l’innovation sociale en soutenant les solutions entrepreneuriales les plus impactantes dans tous les domaines… Tous ces exemples le prouvent, les modèles sont déjà en train de changer, et il est possible d’avoir des impacts sociaux et environnementaux positifs. Ainsi, nous pouvons l’affirmer, le business responsable est possible. Une dynamique sur laquelle entend bien s’appuyer Christophe Itier, Haut-Commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, « ’il n’y a pas besoin d’atteindre le 100 % pour faire basculer le système », il semble que nous ayons atteint aujourd’hui ce point de bascule ou tout peut et doit changer. Tous les éléments déclencheurs sont réunis pour transformer l’idée d’un business responsable en un mouvement généralisé à l’ensemble de l’économie : un nombre croissant d’acteurs engagés qui montrent la route à suivre et une conscience collective face à l’urgence d’agir.
Bientôt la rupture ?
Si la mesure des impacts par tous les acteurs économiques est nécessaire, elle implique de ne pas seulement prendre en compte les impacts positifs, mais aussi les externalités négatives des activités économiques générées et de les comptabiliser pour aller vers une prise en compte réelle. Sinon, nous prenons le risque de tomber dans les dérives d’un « green / social /great washing ». Prudence aussi face à la multitude des labels green dont les allégations et conditions d’attribution ne sont pas toujours signe de sérieux et contribuent à désorienter les consommateurs. Soyons vigilants face à ces allégations, certaines marques allant jusqu’à produire leur propre logo « planet friendly » sans caution par un tiers expert. Ces démarches troublent le consommateur et nuisent au sérieux des labels basés sur un cahier des charges transparent garantissant une vraie démarche de durabilité.
Au-delà de l’exigence des labels à avoir, l’État a un rôle à jouer en se positionnant comme stratège et sponsor dans l’accompagnement des citoyens dans une consommation plus vertueuse. Ce rôle implique des évolutions, listées par Mme Cécile Duflot, directrice générale de Oxfam France, sur le plan législatif tout d’abord. Par exemple, nombreux sont les acteurs économiques engagés comme Emery Jacquillat, directeur général de la CAMIF qui partagent son avis et plaident pour une TVA réduite pour les entreprises à impact afin de transformer les modèles existants et de rendre ce type d’initiatives plus accessibles au grand public. Dans les pratiques des collectivités en termes de commandes publiques, en intégrant des critères de durabilité dans chaque achat public, pour moins de plastique par exemple, promotion du secteur protégé, du recours à l’ESS, soutien aux TPE/PME… ou encore dans l’intégration d’une comptabilité en triple capital pour les entreprises intégrant leurs données environnementales et sociales dans leur système comptable. C’est une forme de réouverture de l’entrepreneuriat… vers un entrepreneuriat durable. Aussi, à l’image de ce que Christophe Itier semble initier, il y a une nécessité à ce que tous les acteurs de l’ESS parlent d’une seule et même voix.
Dans la sphère publique, de nombreux acteurs se sont déjà engagés. Invités à la Convention Lucie, pour bâtir le « printemps des solutions », de nombreux acteurs ont pu présenter leur démarche de développement durable sur leur territoire, la CCI de Maine-et-Loire, la communauté de communes Vallées du Haut Anjou, … . Le Maire Daniel Cueff rappelait lui le principe constitutionnel de précaution, sur la question de la distance d’épandage de pesticides. Laurent Rossez président de l’association professionnelle du bâtiment Novabuild évoquait quant à lui le récent Congrès international du Bâtiment durable sur le territoire angevin pour présenter des solutions pour construire autrement. Nathalie Boyer, directrice de l’association Orée et ambassadrice pour l’économie circulaire rappelait à ce titre les notions d’urbanisme durable et de chronotropie sur les différents usages du bâtiment à trouver. Elle évoquait aussi la notion essentielle de démarche multi-sectorielle et multi – partenaires à viser pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire.
Le devoir d’urgence !
Vous l’aurez compris, il semble que des pépites voient le jour et annonce, peut-être, le point de rupture … Il aura fallu être au pied du mur, que les catastrophes écologiques et humaines frappent à nos portes pour qu’une prise de conscience massive de la société civile et économique se réalise. Les 10% d’acteurs engagés changent et influencent déjà le comportement de la société dans une ère nouvelle. C’est ça le « point de basculement » théorisé par Gladwell. Alors, mettons-nous au travail et continuons de faire basculer la société dans une ère nouvelle pour que l’économie de demain devienne la réalité d’aujourd’hui.